Soulevons-nous contre l’agro-industrie!
Depuis plus d’un an, des milliers d’agriculteur·ices européen·nes s’insurgent contre les contraintes économiques, juridiques et administratives qui les empêchent de vivre décemment tout en subissant de plein fouet les conséquences du déréglement climatique. Puisque les aliments sains et de qualité coûtent de plus en plus cher, se nourrir sans nuire à l’environnement est difficile. De plus, les conditions de travail des agriculteur·ices et des travailleur·euses de l’agroalimentaire se dégradent de manière préoccupante. Pendant ce temps, l’agrobusiness qui produit, transforme, vend et distribue les produits agricoles, avec l’appui de nos gouvernements, engrange des profits indécents. En tant que mouvement citoyen pour la justice sociale et environnementale, Code Rouge appelle à se soulever aux côtés des agriculteur·ices et des paysan·nes contre l’agrobusiness.
L’agriculture ne se réduit pas à la production de nourriture. Au contraire, les agriculteur·ices prennent soin des relations complexes entre la terre, la biodiversité, le climat et les humains. Ils et elles développent des savoirs qui se transmettent de génération en génération et ce depuis des décennies. Pourtant, au cours des 70 dernières années, enivrés par les promesses de l’industrialisation et par les engrais synthétiques, les pesticides, les OGM et les technologies dépendantes des énergies fossiles, entreprises et gouvernements ont précarisé le travail agricole traditionnel. L’agriculture devient alors une industrie concurrentielle qui s’appuie sur des pratiques nuisibles pour les sols, l’environnement et les humains.
La concurrence nourrit les entreprises. Les agriculteur·ices nourrissent les populations. Il est temps d’agir collectivement et massivement contre l’agrobusiness et son complexe agro-industriel massif. Nous appelons donc à construire la souveraineté alimentaire afin que chacun·e reprenne le pouvoir sur son alimentation. Les peuples ont « le droit à une alimentation saine et culturellement appropriée, produite par des méthodes socialement justes, écologiquement saines et durables, et leur droit collectif à définir leurs propres politiques, stratégies et systèmes de production, de distribution et de consommation alimentaires.” (La Via Campesina, 1996)
Nous refusons les récits qui opposent l’agriculture à la justice environnementale. Cette division est créée par les politiques pour protéger les profits des multinationales. Nous avons rencontré des agriculteur·ices mobilisé·es et engagé·es. Nous avons discuté avec des syndicats et d’autres défenseurs des droits des paysan·ne·s, des agriculteur·rice·s, et des travailleur·euse·s . Nous dénonçons les conditions de travail précaires des travailleur·euse·s du secteur agro-alimentaire, en Belgique et dans le reste du monde. Nous sommes uni·es par la colère face aux injustices et nous sommes convaincu·es que des alternatives sont possibles.
Pour toutes ces raisons, Code Rouge appelle à une action de masse pour soutenir les agriculteur·ices et les paysan·nes contre l’agrobusiness et les multinationales. Nous visons les entreprises qui influencent les prix des denrées alimentaires, qui défendent des accords de libre-échange néfastes comme l’accord UE-MERCOSUR et qui sont responsables de nombreuses violations des droits humains et de l’environnement (pour l’instant, nous gardons la cible exacte secrète).
L’agro-industrie : le mythe de la productivité au service des multinationales
L’agrobusiness est donc un système de production agricole de masse, de services et de vente au détail orienté vers le profit. Elle comprend les agriculteur·ices qu’elle emploie, les grandes exploitations, les fournisseurs d’intrants agricoles et les entreprises qui transforment, transportent, échangent et vendent des produits alimentaires ou non (tels que les biocarburants) en grandes quantités.
L’agrobusiness se nourrit de la concurrence entre les agriculteur·ices, d’une course à la productivité qui favorise l’expansion et accaparement des terres, la monoculture et des pratiques nocives telles que le recours aux pesticides chimiques et le labour profond. Ces pratiques peuvent augmenter la productivité dans un premier temps, mais elles sont particulièrement destructrices pour les sols et la biodiversité à court, moyen et long termes.
Ainsi, les agriculteur·ices sont dépendant·es de la grande distribution et des négociants en produits alimentaires qui utilisent leur pouvoir de dérégulation des marchés pour forcer les petit·es et moyen·nes producteur·ices à accepter des prix inférieurs à leurs coûts de production. De grands groupes industriels possèdent semences, engrais, pesticides et machines, tout comme des millier d’hectares de terres dont ils font monter les prix. Ils ont donc un pouvoir de contrôle immense sur les agriculteur·ices. De plus, les lobbies de l’agrobusiness font pression pour des politiques publiques en faveur des entreprises, par exemple par le biais de subventions basées sur la taille des exploitations (comme la PAC en Europe) ou d’accords de libre-échange (comme l’accord UE-Mercosur), qui leur permettent d’importer des aliments bon marché et de mauvaise qualité et de faire baisser les prix. Ce cercle vicieux menace grandement la survie des agriculteur·ices de Belgique et d’ailleurs.
Les conditions de travail précaires du secteur agro-alimentaire touchent en particulier les personnes migrantes, sans-papiers, et racisées. Celles-ci travaillent sans protections sociales et vivent sous le seuil de pauvreté, au profit des patrons et des actionnaires de la grande distribution (Carrefour, Delhaize, Aldi, Lidl, Colruyt…).
Se défaire notre système agroalimentaire capitaliste en faveur d’un système social et écologique ne peut se faire qu’à partir d’une perspective décoloniale. À l’échelle mondiale, l’agrobusiness engrange des profits démentiels notamment via l’hyperspécialisation des régions qui crée des modèles d’échanges mondiaux inégaux. De cette façon, les pays occidentaux continuent d’extraire les ressources et la force de travail des pays du Sud global. L’exemple le plus récent est le traité de libre-échange UE-MERCOSUR, qui menace les agriculteur·rice·s Européen·ne·s en inondant le marché de produits moins chers, notamment car ceux-ci ne sont pas soumis aux mêmes lois environnementales et du travail. L’expansion des terres cultivées risque aussi d’accélérer la déforestation dans les pays MERCOSUR, surtout dans l’Amazone, contribuant ainsi au changement climatique et à la perte de biodiversité. La nourriture devrait être produite pour nourrir les populations locales, pas pour l’exportation.
Nous n’avons ni besoin de l’agrobusiness ni d’une production alimentaire de masse pour assurer la sécurité alimentaire. Dans le monde, environ un tiers de la nourriture produite est perdue ou gaspillée chaque année. Pourtant, un quart seulement de cette quantité suffirait à mettre fin à la faim. Contrairement à ce que certains prétendent, tenter de résoudre le problème des revenus décents des agriculteur·ices par l’augmentation de la productivité ne fait qu’aggraver la chute de leurs revenus et la surproduction. De plus, cela engendre plus de gaspillage, de pollution des sols et des eaux et une dévaluation des prix.
En Belgique, bien que nous disposions de suffisamment de terres fertiles pour nourrir tout le monde, près de 5 % de la population doit recourir à l’aide alimentaire et près de 20 % des agriculteur·ices vivent en dessous du seuil de pauvreté. Pourtant, la Belgique est un exportateur important de produits agricoles et accueille les sièges sociaux de plusieurs entreprises agroalimentaires qui réalisent des millions, voire des milliards d’euros de bénéfices chaque année. Par ailleurs, l’accent mis sur la productivité détourne l’attention d’un problème majeur : la répartition inéquitable des bénéfices et le déclin alarmant des petit·es agriculteur·ices et des paysan·nes.
Depuis 1980, alors que la surface utilisée pour la production alimentaire est restée la même, le nombre d’exploitations a diminué et ces dernières se sont agrandies. Ce phénomène a provoqué un drame humain et écologique. En effet, le taux de suicide des agriculteur·ices est extrêmement élevé et ils et elles ne cessent de perdre leur patrimoine familial et culturel. L’âge moyen des agriculteur·ices est aujourd’hui de 55 ans et peu d’entre elles et eux pourront transmettre leur exploitation à leurs enfants, soit parce qu’ils et elles sont endetté·es, soit parce qu’ils et elles ne voient pas d’intérêt à reprendre une activité qui implique de se battre pour exister. De plus, comme peu d’exploitant·es concentrent la majorité de la propriété foncière et que la spéculation fait grimper les prix, l’accès à la terre pour des jeunes ou des personnes qui veulent se lancer dans ce métier est quasiment impossible. Pour survivre, beaucoup investissent ou travaillent par contrats, ce qui les enferment dans une dépendance encore plus grande.
Résister au carnage social et écologique
Une grande partie des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le monde provient de l’agriculture : 11 % pour la production et 30 % si l’on prend en compte l’ensemble du système alimentaire en ce compris le transport, la transformation, la vente au détail, etc. Mais qui est vraiment responsable ?
L’agrobusiness soutient un système agricole fondé sur la surexploitation des ressources naturelles, sur des produits chimiques et des technologies à forte intensité énergétique. Il pousse les agriculteur·ices à surproduire des aliments bon marché, ce qui entraîne des coûts sociaux, sanitaires et environnementaux incroyablement élevés. L’agro-industrie intensive a détruit d’importants puits de carbone, comme les sols riches en matières organiques et les forêts, ce qui intensifie le changement climatique. En outre, l’agrobusiness accélère la course vers le solutionnisme technologique en développant des outils high-tech (comme les drones, l’agriculture de précision et les tracteurs intelligents) qui sont chers et surtout qui engendrent encore plus d’endettement.
À cela s’ajoute le fait que les agriculteur·ices sont les premier·es à souffrir de l’effondrement écologique : ils et elles sont confronté·es, entre autre, à la sécheresse, à la perte de fertilité des sols et de la biodiversité, à des phénomènes météorologiques extrêmes, à des changements de saison qui nuisent à leurs cultures et à leurs animaux. Le tout augmente la précarité économique, l’endettement ou la faillite.
Cependant, l’agriculture durable à petite et moyenne échelle ou l’agroécologie ont un rôle majeur à jouer pour résister aux carnages social et écologique. Elles peuvent restaurer la biodiversité, absorber naturellement les GES et produire de la nourriture saine et accessible à tou·tes. Mais cela se réalisera uniquement en luttant pour la souveraineté alimentaire et contre l’agrobusiness. Nous ne pouvons pas laisser les agriculteur·ices relever seul·es les défis auxquels ils et elles sont confronté·es : nous exigeons donc que nos gouvernements prennent des mesures pour soutenir des revenus équitables et des pratiques durables et qu’ils arrêtent une bonne fois pour toutes la course effrénée vers l’agrobusiness et sa concentration monopolistique de la propriété foncière et de la richesse.
Soulevons-nous pour défendre la justice sociale et environnementale et faisons alliance avec les agriculteur·ices pour des conditions de travail décentes!
Pour les agriculteur·ice·s et les paysan·ne·s, pas les multinationales
Nous devons démanteler l’agrobusiness pour opérer un changement durable vers l’agroécologie et la souveraineté alimentaire. Cela implique de cibler l’infrastructure et les institutions qui le soutiennent. L’agrobusiness ne pourrait exister sans les usines de production d’aliments pour animaux, les usines de produits chimiques, les ports industriels, ainsi que les réseaux routiers et fluviaux surexploités. Si nous en sommes arrivé·es à ce stade, c’est parce que nos lois et politiques publiques visent à augmenter l’accumulation de capital en augmentant sans cesse la production et le commerce international. Ainsi, pour changer ces institutions, nous croyons en une révolution menée par les travailleur·euse·s et les agriculteur·ice·s.
Nous ne croyons pas en la “démocratie du portefeuille” qui fait porter la responsabilité aux consommateur·ice·s. Les mesures antisociales du nouveau gouvernement fédéral ne feront qu’augmenter le stress financier des ménages et pousseront encore plus d’entre eux dans la précarité. Ceci démontre, une fois de plus, qu’il n’est pas possible de faire des choix de consommation équitables et durables dans un système défaillant.
Tout le monde devrait avoir accès à une bonne alimentation et à des salaires décents. Cela est possible si nous instituons une sécurité sociale de l’alimentation (SSA), qui est d’ailleurs préconisée par des mouvements paysans dans de nombreux pays européens, dont la Belgique. Les autorités locales doivent garantir un prix d’achat pour les aliments de bonne qualité et s’assurer que tout le monde puisse y avoir accès en régulant les marges réalisées par les acteurs de la chaîne. Ce système alternatif permet de décider collectivement du type d’aliments que nous voulons manger et de s’assurer que celleux qui les produisent peuvent vivre correctement. Demandons la souveraineté alimentaire!
Les agriculteur·ices devraient être soutenu·es pour adapter leurs pratiques au contexte économique et écologique, au lieu d’être étouffé·es par la bureaucratie. Pour cela, la logique de la PAC doit être inversée : davantage de soutien économique et technique pour les nouvelles installations et les petites exploitations et pour les pratiques agroécologiques: réduction des intrants chimiques, diversification et adaptation des variétés des végétaux aux conditions locales.
Nous exigeons que les entreprises qui transforment, échangent et vendent des denrées alimentaires :
- Cessent d’importer des aliments qui ne respectent pas notre santé et détruisent nos écosystèmes.
- Payent aux agriculteurs et agricultrices le juste prix pour couvrir leurs coûts de production et leur permettre de vivre dans une exploitation moyenne.
- Respectent la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans (UNDROP) et cessent immédiatement de violer les droits humains des travailleur·euse·s, agriculteur·rices, et communautés indigènes, ici et dans le reste du monde.
Nous demandons aux gouvernements belges et à l’Union Européenne de:
- Rejoindre l’opposition européenne contre l’accord UE-MERCOSUR et tous les autres accords de libre-échange qui profitent aux multinationales au prix de revenus décents, de notre santé, et de nos écosystèmes.
- Rediriger les subventions de la PAC pour soutenir l’installation de nouveaux·elles agriculteur·rice·s, une agriculture plus locale et à plus petite échelle, et des pratiques agroécologiques.
- Mettre fin à la spéculation sur les prix des terres agricoles et permettre l’accès à la terre de manière équitable.
- Soutenir la transmission des fermes pour les agriculteur·rice·s qui approchent de la retraite, et investir dans l’éducation sur les systèmes agro-alimentaires.
- Prendre des mesures beaucoup plus ambitieuses pour prévenir le changement climatique et la perte de biodiversité (cf les revendications de nos actions précédentes) ainsi que compenser les agriculteur·rice·s qui en subissent déjà les effets.
- Accueillir et régulariser les personnes migrantes pour mettre fin aux conditions d’exploitation dans le travail, notamment dans le secteur agro-alimentaire.
- Faire du droit à l’alimentation une priorité selon le principe de sécurité sociale alimentaire comme le préconise le Collectif CréaSSA ;
Pourquoi avoir recours à l’action directe?
Code Rouge est un mouvement de désobéissance civile créé par des activistes et soutenu par différentes organisations et groupes d’action. Nous avons choisi la désobéissance civile comme méthode d’action, car dans un système politique dominé par l’impératif de croissance et l’intérêt des élites, les méthodes d’action légales ne sont plus une option en soi, puisqu’elles sont cooptées et écrasées par un rapport de force injuste. Nos adversaires sont bien organisés, extrêmement bien financés et ont accès aux médias et au pouvoir politique. Par conséquent, enfreindre la loi n’est pas seulement un moyen de se faire entendre, mais bien moyen légitime d’affirmer le pouvoir de toustes dans un système capitaliste injuste et répressif.
Les grands changements de l’histoire ont souvent eu lieu à la suite d’actes de résistance de masse. Les gens ont choisi de s’organiser, d’enfreindre des lois, d’exiger des changements et de créer elles et eux-mêmes le changement qu’iels souhaitaient. L’histoire des luttes paysannes est riche: des mobilisations contre le CETA-TTIP depuis 2015, en passant par le mouvement des travailleur·euses sans terre au Brésil contre l’inégalité coloniale, ou à celui des paysan·nes du Larzac de 1971 à 1981 contre un camp militaire…
Les systèmes ne sont pas figés, ils sont construits. Avec de l’imagination, de la volonté et une action collective déterminée, nous pouvons ébranler les pouvoirs en place et créer une résistance contre les industries néfastes.
Soulevez-vous avec nous !